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Les magazines people, un nouveau canal de communication politique ?

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01 07 2024

Dans notre imaginaire, les sphères politique et people ne sont pas faites pour se mélanger. Ou alors, pour faire le buzz : ces dernières années, de nombreux magazines people se sont par exemple emparés de théories du complot ciblant la première dame Brigitte Macron. Mais depuis le début des années 2000, les magazines people apparaissent aussi comme des plateformes médiatiques influentes, permettant aux politiques de toucher une nouvelle audience. Entre intérêt business d’un côté et électoral de l’autre, assiste-t-on à l’essor d’une nouvelle forme de communication politique ?

 

Pourquoi la presse people s’intéresse-t-elle à la politique ? La naissance du “peopolitique”

 

Les magazines people ont de plus en plus investi la scène politique française ces dernières décennies, et ce pour plusieurs raisons ! Avant toute chose, ces médias cherchent à attirer et fidéliser une audience toujours plus large : d’après Forbes France,  “L’ADN des rédactions, c’est de délivrer des news en continu, de fasciner et de retenir l’attention”. En publiant des interviews ou des photos de politiques, ces magazines touchent donc non seulement des lecteurs intéressés par la vie des célébrités, mais aussi ceux intéressés par la politique, ce qui contribue à élargir leur audience.

 

Plus encore, la presse people cherche à relayer du contenu sensationnel pour attirer l’attention. En révélant des scoops sur les politiques, qui incarnent des institutions et de hautes responsabilités, les magazines people contribuent à mélanger sacré et profane et donc à susciter d’autant plus de buzz ! Ils répondent ainsi à la curiosité grandissante des lecteurs, qui souhaitent découvrir les moindres dessous de la vie intime des politiques. Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication, explique pour l’Express : “Cette exigence de transparence des Français ne va pas s’arrêter” car “ils veulent tout savoir des politiques auxquels ils ne font plus confiance”. Les contenus exclusifs sur les politiques satisfont alors les besoins des médias et leur audience, qui se nourrissent mutuellement !

 

Cette course au sensationnel, voire au scandale, est d’ailleurs associée à une forte utilisation des images prises sur le vif. Si les photos officielles des politiques sont souvent très codifiées, les photos des paparazzi donnent à voir des situations du quotidien, parfois inattendues, attisant toujours plus la curiosité des lecteurs ! Comme l’expliquait en 2015 Laurence Pieau, ancienne directrice de la rédaction de Closer, pour le JDD : “La presse people, c’est beaucoup d’image, et des images qui ne passent pas par le filtre des communicants. Nous recherchons la démystification, pour voir qui se cache derrière l’image qu’on aimerait nous présenter.” Les photos de politiques permettent donc à la presse people de mettre en avant ce qui reste parfois caché !

 

En fin de compte, le brouillage des frontières entre sphère people et politique a donné le nom de “peopolisation”. Un article du Temps des Médias explique : “La notion de peopolisation politique s’est [...] forgée au cours des années 2000 par un empilement de significations successives. À l’approche de l’élection présidentielle française de 2002, elle commence par désigner l’investissement des médias people par les responsables politiques et leur entourage.” Mais, à partir de 2005 : “le terme englobe [...] en outre le dévoilement de la vie privée des élus sans leur accord, selon des processus de scandalisation”. Ainsi, si la presse people s’est intéressée aux politiques, c’est aussi parce que ces derniers ont investi ce média pour leur propre communication politique !

 

Faire de la presse people un canal de communication politique

 

Les politiques exploitent régulièrement l’influence des médias dans leur stratégie de communication, notamment pour des raisons d’image et de visibilité. Tout d’abord, les magazines people permettent d’humaniser les politiques, en partageant par exemple des anecdotes ou des images de leur vie personnelle. Ce processus d’humanisation aide à renforcer la connexion émotionnelle avec le lectorat, ainsi qu’à adoucir leur image. Par exemple, l’interview de Brigitte Macron dans Elle lui a permis d’expliquer ouvertement son parcours et d’humaniser son histoire, qui était jusqu’alors décrite comme “complètement désuète, cloche, petite.”

 

La presse people possède également une audience différente des médias d’information traditionnels. En y figurant, les politiques peuvent atteindre des publics moins engagés politiquement mais influencés par les médias de divertissement. Ils peuvent alors les sensibiliser à leurs positions et gagner des électeurs sur un terrain peu politisé. Le JDD expliquait en 2015 au sujet de Closer : “Nous sommes, par exemple, leaders chez les femmes de moins de 50 ans. La presse people permet de toucher des lecteurs et lectrices qui sont aussi des électeurs.” Un atout de taille lorsque les politiques souhaitent diversifier leur base électorale !

 

D’autre part, les politiques collaborent avec les magazines people pour maîtriser et orienter leur image publique. Si la presse people publie souvent des révélations chocs à leur sujet, elle leur permet aussi de collaborer pour construire une véritable image de marque. Forbes France expliquait en 2018 : “Depuis 10 ans, la communication politique est devenue de l’influence marketing [...] avec comme seul objectif, faire émerger une personne c’est-à-dire une marque”. En choisissant les aspects de leur vie qu’ils souhaitent mettre en avant, les politiques peuvent donc contrôler leur branding, essentiel pour garder une image positive auprès des lecteurs et potentiels électeurs.

 

Enfin, les politiques peuvent utiliser la presse people comme un tremplin pour diffuser un narratif attrayant, qui marque les esprits. D’après un article de Questions de communication, “il est possible de considérer [...] que le pouvoir politique est avant tout un effet de style et le produit d’une créativité permanente dans la représentation : en effet, il s’agit d’offrir à tout moment aux citoyens les symboles les plus parlants, à même de donner prise sur une réalité politique souvent complexe”. En jouant sur des codes esthétiques et éditoriaux précis, les magazines people permettent donc aux politiques de transmettre un récit engageant, qui puisse toucher le lectorat et renforcer leur popularité. Autant d’atouts qui font de la presse people un véritable outil de communication politique !

 

Quelles limites la presse people pose-t-elle à la communication politique ?

 

Comme tout levier de communication, les magazines people ont néanmoins leurs défauts, que les politiques doivent prendre en compte avant de s’y dévoiler. Leur contenu peut tout d’abord paraître superficiel, se focalisant presque exclusivement sur les sentiments des politiques ou sur leur apparence. Un passage du livre Sous les images, la politique… raconte : “Dès lors que des titres people l’incorporent dans leur discours, le personnel politique ne semble plus visible qu’au prisme du sensible, au double sens du terme : à travers la mise en scène des sentiments et des affects, d’une part, ou en raison d’une focalisation sur l’apparence, d’autre part.” Cette réduction des politiques à leur vie intime ou leur simple image peut conduire à une perte de crédibilité et d’autorité, pourtant nécessaires en politique.

 

En mettant l’accent sur des éléments souvent anecdotiques, la presse people contribue aussi à déplacer l’attention des lecteurs des véritables débats de fond. La politique y occupe toujours une place, mais est reléguée à l’arrière-plan derrière les relations de pouvoir ou les affects qui s’y jouent. Des journaux comme Gala ou Voici parlent souvent d’Emmanuel Macron sous le prisme de sa relation avec Brigitte Macron, qui semble davantage intéresser leur cible. Il y a deux semaines, Voici évoquait le G7 en titrant : “Emmanuel Macron : Brigitte Macron grande absente du sommet du G7, la raison dévoilée.” La “peopolisation” n’est donc pas toujours synonyme de politisation !

 

D’autre part, la spectacularisation de la sphère politique dans la presse people place les politiques dans une position ambiguë. En étant “vedettisées”, ils se plient aux mêmes exigences que les stars, autant adulées que détestées. Questions de communication montre que “le discours de la presse échotière est profondément ambivalent : il est aussi bien mélioratif, favorisant un sentiment d’admiration envers les stars, que péjoratif, encourageant la dérision, voire le mépris envers les célébrités.” Cette ambivalence complique la gestion de l’image des politiques, déjà aux prises avec plusieurs autres types de médias, comme les médias spécialisés ou d’information.

 

En étant d’autant plus sous le feu des projecteurs, le discours des politiques est aussi d’autant plus scruté, et le moindre faux pas peut être fatal. Leurs propos peuvent être réduits ou déformés, mais aussi relayés dans d’autres médias à sensation, ce qui les expose à un risque accru de scandales. Cette tendance est amplifiée par la course au sensationnel recherchée par la presse people, qui peut continuer de propager en parallèle des révélations exclusives qui n’étaient pas destinées à être diffusées. Les politiques doivent donc s’assurer que leurs propos ne sont pas susceptibles d’être mal interprétés, même si le filtre des médias et la réception du lectorat y jouent pour beaucoup dans leur interprétation finale. En somme, que ce soit en interview ou pris sur le vif, les politiques ne sont jamais à l’abri d’un bad buzz !

 

Ainsi, la presse people apparaît comme un canal de communication politique intéressant, mais dont il ne faut pas sous-estimer les risques ! La presse papier connaît par ailleurs une baisse des ventes depuis une dizaine d’années, au profit de la presse numérique ou des réseaux sociaux. Les magazines people ne sont donc peut-être plus LE canal de communication le plus privilégié par les politiques, qui ont par exemple beaucoup exploité TikTok pendant les européennes. On a quand même rencontré Marlène Schiappa, ministre de 2017 à 2023, qui a posé l’année dernière dans le magazine Playboy pour sensibiliser au droit à disposer de son corps. Son interview est à retrouver en exclu dans ON TISSE LA TOILE !

 

Par Marion TSCHUDY


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