En 2023, TikTok est devenu le quatrième réseau social le plus utilisé au monde, derrière ses concurrents Facebook, YouTube et Instagram ! Avec plus d’un milliard d’utilisateurs, cette plateforme permet de créer et publier des vidéos de quelques secondes ou minutes, le plus souvent sur fond musical. Jusque-là, a priori, on ne vous apprend rien. Mais depuis 2016, le géant TikTok révolutionne la création musicale et sa diffusion à l’échelle mondiale : quelles transformations se sont opérées dans l’industrie musicale avec ce phénomène ?
Quels liens TikTok entretient-il avec l’industrie musicale ?
La musique est au cœur du fonctionnement de TikTok : l’application est détenue par le groupe chinois ByteDance, qui a acheté Musical.ly en 2017. Le but de Musical.ly ? Permettre aux utilisateurs de partager des vidéos “lip-sync”, c’est-à-dire des vidéos de playback sur des chansons accessibles gratuitement depuis la plateforme. En 2018, ByteDance fusionne les deux applications, en gardant le nom de TikTok. Dans le podcast Et maintenant ? de France Culture, Quentin Lafay explique donc que l’origine de TikTok, “son ADN, c’est d’associer la musique à l’image. C’est de permettre le partage de vidéos de danse, de synchronisation labiale, d’associer une chanson à un pseudo-clip créé souvent par les utilisateurs.”
Quentin Lafay ajoute également une donnée importante sur le fonctionnement de TikTok : sa capacité à accélérer la visibilité des contenus. Grâce “à son algorithme puissant” TikTok met en lien “les milliers, parfois les millions, de vidéos qui utilisent [une] même chanson.” Cet algorithme, associé à l’immense communauté d’utilisateurs, permet de rendre virales des tendances, des chorégraphies, mais aussi des chansons ! Un article L’influx révèle donc qu’avec “plus de 2 milliards de téléchargements, Tiktok est devenu une influence majeure dans les schémas de consommation et de production de musique. Les contenus partagés ont en effet la possibilité [...] d’être vus et partagés par un grand nombre de personnes du jour au lendemain.”
Pour l’industrie musicale, TikTok est ainsi un levier marketing intéressant : les usagers de TikTok ont majoritairement entre 16 et 24 ans et comptent parmi les plus gros consommateurs de services de streaming musical. De plus, les grandes maisons de disques ont signé des contrats de licence avec le groupe pour percevoir de l’argent en échange de l’usage de leur catalogue.
Le réseau social s’est aussi implanté lui-même dans l’industrie musicale, en fondant la plateforme SoundOn ! Dans un communiqué partagé le 9 mars 2022, TikTok explique que “[SoundOn] permet aux artistes d’uploader leur musique directement sur TikTok et de commencer à percevoir des redevances lorsque leurs morceaux sont écoutés. [...] Il fournit aussi toute une série d’outils de promotion et d’assistance.” Un système qui permet à des musiciens sans label de gagner de la visibilité et des revenus directement via TikTok ! Aujourd’hui, l’application s’ancre donc d’autant plus dans le milieu musical.
Une plateforme qui a des avantages…
Le réseau social, par son algorithme et sa communauté mondiale, présente de nombreux avantages pour les artistes. Pour les musiciens et chanteurs amateurs, qui cherchent à se faire connaître, TikTok est un véritable tremplin ! Selon le MI College of contemporary Music, “[nous sommes] dans une époque [...] [où] les usagers découvrent des artistes dont ils n’ont jamais entendu parler auparavant.” Le dispositif de l’application permet justement d’accélérer la diffusion de contenus, avec des publications plus faciles à produire qu’un clip, et donc de gagner plus facilement en notoriété.
De nombreux artistes ont ainsi été propulsés sur le devant de la scène grâce à TikTok ! On peut notamment penser à Lil Nas X et son single “Old Town Road” en 2019. Un article des Echos rapporte que, suite au succès mondial de cette chanson sur TikTok, “Lil Nax X a signé chez Columbia, réenregistré une version avec un grand nom de la country, Billy Ray Cyrus, et le single détient aujourd’hui le record de longévité en tête du classement Billboard aux Etats-Unis (dix-neuf semaines).” La conclusion est la suivante : d’après un article de Masters of Media, ce sont désormais les chansons les plus virales sur TikTok qui influencent le classement Billboard, et non l’inverse.
Fait encore plus amusant, l’application contribue aussi à ressusciter d’anciens hits. Par exemple, la chanson “Running Up that Hill” de Kate Bush, sortie initialement en 1985, a été mise en avant dans la bande-son de la série Stranger Things en 2022, mais a également explosé sur TikTok cette même année. Le succès a été tel que la chanson a fait mieux dans la plupart des classements mondiaux que lors de sa sortie originale, 37 ans auparavant !
Pour les utilisateurs de la plateforme, elle présente aussi plein d’avantages. A l’inverse des plateformes musicales classiques, qui nécessitent une recherche active, TikTok permet aux utilisateurs de découvrir facilement de nouveaux artistes, en “scrollant” parmi les millions de vidéos proposées par l’algorithme. Cette exposition passive à de nouvelles chansons conduit les utilisateurs à explorer des genres qu’ils n’auraient peut-être pas écoutés autrement ! Fabien Laxague, directeur de la communication de TikTok en France, déclare ainsi que “80 % de [leurs] utilisateurs découvrent de nouvelles chansons sur TikTok.”
…mais qui soulève néanmoins des difficultés et des limites :
Comme tout réseau social, TikTok présente également des obstacles pour l’industrie musicale. En premier lieu, le vol de contenu entre utilisateurs est courant et peut être difficile à faire remonter à la plateforme, malgré les options de signalement déjà existantes. Le manquement aux droits d’auteur advient donc pour les artistes, mais également pour les labels. Un article de France Culture dévoile en effet que, même si “TikTok a déjà scellé des accords avec des acteurs de l’industrie musicale, bon nombre de morceaux utilisés sur la plateforme le sont sans l’accord du label ou de l’éditeur. D’après [...] la NMPA - une association qui représente les droits des éditeurs - plus de 50% du marché musical de l’édition ne dispose pas de contrat de licence avec TikTok.”
Si certains labels ne sont pas consultés dans la publication de leur catalogue, d’autres, au contraire, imposent à leurs clients de se conformer aux attentes de TikTok. En effet, certains artistes sous contrat se voient incités à produire beaucoup de contenu sur l’application, dans l’espoir que celui-ci devienne viral. Tatiana Cirisano, analyste de l’industrie musicale pour MIDiA Research, explique justement pour Brut que “l’on met une grosse pression aux artistes aujourd’hui pour qu’ils soient des créateurs de contenu à temps plein, en plus de tout le reste”, alors que “quand un artiste signe avec un label, le contrat prévoit qu’il l’aidera à promouvoir sa musique.” Plusieurs artistes, comme Florence and the Machine, Halsey ou Charli XCX, ont donc pris la parole pour dénoncer cette course effrénée à la viralité.
Le fonctionnement de TikTok conduit aussi à une certaine standardisation des contenus créés sur la plateforme, afin que ceux-ci correspondent aux attentes d’un “TikTok hit”. En effet, les chansons virales sur la plateforme suivent généralement le même schéma : elles se plient aux exigences d’un format de vidéo court et comportent des mélodies accrocheuses et faciles à retenir. Pour ainsi plaire aux utilisateurs de TikTok, et espérer connaître un succès mondial, les acteurs de l’industrie musicale ont désormais tendance à produire des chansons standardisées, qui cochent les cases attendues. Par exemple, après le buzz de son single “Anissa” sur TikTok en 2020, certifié platine, Wejdene a sorti une nouvelle chanson, “Coco”, dont la mélodie s’est avérée étrangement similaire à son précédent titre… Au-delà d’influer sur la diffusion des contenus, TikTok influence donc également la création musicale.
Enfin, la question de l’usurpation d’identité est au cœur des polémiques liées à TikTok. En effet, certains contenus sont devenus viraux sur l’application en exploitant les voix d’artistes générées par intelligence artificielle. L’exemple le plus connu est celui de la reprise de “Saiyan” de Heuss l’Enfoiré et Gazo par Angèle, dont le musicien Lnkhey a généré la voix par IA. Cette version a connu un tel succès que la chanteuse a repris ce titre en live, durant un concert à la Fête de l’Huma en 2023 ! Si l’histoire s’est finalement bien terminée pour Lnkhey, un article d’Hyperradio note néanmoins que “des entreprises telles que Jammable se retrouvent sous les feux des projecteurs pour leur utilisation non autorisée de voix d’artistes célèbres. Cette tendance soulève des questions juridiques et éthiques importantes, incitant les organismes de l’industrie musicale et les législateurs à prendre des mesures pour protéger les droits des artistes et la valeur de leur travail créatif.” Un phénomène qui risque de s’amplifier d’autant plus avec la dernière innovation en cours de développement chez TikTok : une fonctionnalité de clonage vocal basée sur l’IA…
TikTok est donc au cœur de plusieurs enjeux pour l’industrie musicale, qu’il s’agit de surveiller de près à l’avenir. Mais on retiendra à La Toile que TikTok permet de faire émerger de beaux talents : on a rencontré Coralien, dont le titre “Tous les hommes” a fait le buzz sur la plateforme en 2023. Son interview est à retrouver en exclu sur ON TISSE LA TOILE ! Et puis, quand même parce que ça en devient drôle, notre compte TikTok s’est fait bannir à cause d’un extrait vidéo avec Rosa Bursztein. Concrètement, on ne peut plus sponsoriser notre contenu jusqu’à… février 2034. Pire qu’un crime !
Par Marion TSCHUDY